Une régate d’élite pour des navigateurs pas comme les autres
Pour la première fois, les meilleurs skippers de handivoile se sont affrontés pour s’affranchir des différences.
Les skippers handicapés naviguent sur des voiliers adaptés et s’affrontent en duo ou en solitaire pour la Coupe de Suisse. Image: Jean-Paul Guinnard
Équipé aussi bien qu’un Tabarly au beau milieu de l’Atlantique, Antoine Bodmer, 13 ans, s’embarque sur son Pen Duick à lui: le Peinard’Eau, 1 m de tirant d’eau et 3,03 m de long. Sauf que l’exploit de cet esquif n’est pas une traversée en solitaire de l’océan. C’est encore plus. C’est donner l’accès à l’art de la régate à des handicapés mentaux ou physiques, dont certains ont une mobilité si réduite qu’ils ont besoin d’un treuil pour quitter leur chaise roulante et descendre à bord. Rien qui ne les arrêtera. «On a un vent de force 5, sourit Antoine. Avec un peu de chance il y aura même des rafales à 6 ou 7!»
Le port d’Yvonand accueille ce week-end le 7e championnat de handivoile pour l’organisation Swiss Disabled Sailing, basée à Prangins et dont la devise est «Laissez votre différence à terre». C’est la première fois que la compétition a lieu sur le lac de Neuchâtel. C’est aussi la première fois qu’autant de régatiers de handivoile (plus de 70) s’affrontent sous nos latitudes. «On a réussi à réunir plusieurs réseaux amis, au bout d’un moment on finit par se connaître», témoigne Claude Bodmer, père du jeune navigateur du Cercle nautique des Tapa-Sabllias. «C’est un an de travail, mais une sacrée chance. Il y a ici des navigateurs de haut niveau, ils seront au Japon l’an prochain pour la Coupe du monde.» Petite déception toutefois, la manifestation ne comptera pas comme étape vers les JO paralympiques de Paris, qui ont récemment biffé la discipline de l’édition.
«Les Suisses sont assez connus dans le milieu, ils ont remporté la dernière aux Pays-Bas», poursuit Antoine, faisant le tour de son Hansa 303. «Tout est adapté, les bouts sont rassemblés là pour qu’on puisse les tenir, la barre est au centre avec un joystick, la bôme est rehaussée pour qu’on ne la prenne pas sur la tête… Il y a seulement un peu moins de réglages pour les voiles. Ce n’est pas si compliqué, par contre il faut du temps pour se perfectionner.»
Naviguer avec les dents
Sans mains ni pieds, le jovial Patrick Parker navigue, lui, avec les dents. «Ça prend plus de temps, ce n’est pas un avantage dans une course comme celle-ci, plaisante le skipper, mordu de voile depuis des années. J’ai l’habitude d’un Neo495, un quillard plus stable et plus adapté. Pour moi, c’est une façon d’être au milieu des éléments. La voile est un supermoyen d’avoir accès à la liberté et à la vitesse.»
Même ressenti pour Antoine, qui a découvert la voile grâce à la Fondation Étoile Filante il y a plusieurs années. Il n’a pas décroché depuis. «On se sent libre, et on est tous à la même une fois à la barre, valides ou non.»
Les valides? Hormis les quelques équipiers des duos de voile, peu avaient fait le déplacement pour admirer la régate. Un manque d’intérêt que le milieu regrette. «Ça pourrait être une bonne façon de découvrir la discipline, pour les jeunes aussi», poursuit le skipper d’Yvonand.
C’est que la voile pour handicapés, c’est un investissement. Des cours, un rafiot ad hoc, et surtout du temps rien que pour la mise à flot. «Il arrive qu’on repère un joli vent, mais que le temps d’arriver, d’embarquer et de hisser les voiles, le vent soit complètement tombé», sourit-il. Pour une fois, le joran souffle abondamment sur les dizaines de proches et professionnels affairés à mettre les navigateurs à l’eau, tandis qu’un zodiac remettait sur leur cap ceux qui peinaient à trouver bâbord et tribord.
Vendredi, c’est l’équipe française de Gilles Guyon et Olivier Ducruix qui a remporté la première manche. Antoine est arrivé 5e. Dernière régate dimanche.
Erwan Le Bec
(24 heures)